À l'échelle de l'histoire de la musique, les quatre années
de l'occupation de la France par l'Allemagne nazie peuvent
sembler trop brèves pour avoir influencé notoirement la vie musicale
française. Elles sont pourtant une étape importante entre les deux parties
du siècle, dans la mesure où elles voient s'affi rmer une modernité
de plus en plus radicale et un art musical de plus en plus administré.
Dès les premiers jours de leur installation dans la capitale française,
les autorités allemandes encouragent la reprise des activités artistiques
alors que, dans le même temps, les Français n'ayant pas fui Paris veulent
empêcher l'accaparement des institutions artistiques. C'est ainsi que
quelques professeurs réussissent à rouvrir le Conservatoire le 24 juin 1940
et à y organiser le premier concert dans Paris occupé le 18 juillet. Le 22 août, c'est au tour de l'Opéra-Comique d'accueillir ses premiers
spectateurs, auxquels on propose Carmen, puis, deux jours plus tard,
du Palais Garnier qui présente La Damnation de Faust. Le mois suivant,
c'est presque « normalement » que débute la saison 1940-1941, bien
que les concerts Colonne soient rebaptisés concerts Pierné en raison des
origines juives de leur fondateur.
Malgré les difficultés croissantes, les quatre saisons musicales de l'Occupation se caractérisent par une activité intense et quelques temps forts parmi lesquels on peut citer la reprise de
Pelléas et Mélisande à l'Opéra-Comique et son enregistrement discographique sous la direction de Roger Désormière, les concerts symphoniques organisés au Palais de Chaillot ou encore les concerts de la Pléiade qui offrent à Messiaen les moyens de faire connaître sa musique. C'est en de tout autres circonstances que Messiaen donne à entendre
l'oeuvre la plus emblématique de la période, son
Quatuor pour la fin
du Temps, le 15 janvier 1941, au Stalag VIII A où il est retenu prisonnier
pour encore quelques semaines. Comme lui, d'autres compositeurs
et musiciens sont empêchés, pour des périodes plus ou moins longues,
de participer à la vie musicale parisienne en raison de leur internement,
tandis que d'autres profi tent, malgré eux, de leur absence. C'est là une
des conséquences importantes de la guerre : le renouvellement du
personnel musical. Au côté des prisonniers de guerre, viennent s'ajouter
les morts au champ d'honneur (dont les musiciens les plus connus sont
Jehan Alain et Maurice Jaubert), mais aussi les musiciens étrangers qui,
à l'exception de quelques Allemands, désertent la France, ou les musiciens
d'origine juive contraints de se cacher ou de s'exiler quand ils ne sont pas
internés et déportés. Ayant eu la clairvoyance et la possibilité de partir
aux États-Unis dès le mois de juin 1940, Darius Milhaud, honnis des
nazis, est le compositeur français dont l'absence est la plus remarquée.