L'enfant de l'art
Huit concerts consacrés aux oeuvres de Mozart,
des toutes premières écrites dès l'âge
de 8 ans jusqu'à celles qu'il compose au
moment où il entre dans l'âge adulte.
À leur manière, elles nous racontent son histoire.
Apollon et Hyacinthe, présentation du projet des Folies françoises.
Il était une fois un petit garçon. Deuxième rescapé d'une fratrie de sept,
il s'était cramponné à la vie à la suite de sa soeur aînée de cinq ans,
Nannerl. Tous deux grandissaient dans un foyer aimant, animé par la joie
de vivre de la mère et la musique de Leopold, le père. Lorsqu'elle eut
8 ans, le père commença à enseigner le clavecin à sa fille. Nannerl
s'amusait tant à jouer que son frère ne cessait de rêver du moment où
il apprendrait à son tour. Peu après, Leopold notait : « Ce menuet a été
appris par mon fils un jour avant sa cinquième année ».
À partir de 1763, ils sillonnèrent l'Europe trois ans durant, apportant
leur radieuse lumière aux têtes couronnées avides d'émerveillement.
Entretemps, le petit garçon avait commencé à composer pour clavier
sans tarder à s'atteler à de plus vastes dimensions avec sa Première
Symphonie écrite à Londres en 1764. Méticuleux, il avait demandé
à sa soeur « de lui rappeler de donner quelque chose de beau aux cors ».
Et les cors jouent dans l'Andante une succession de quatre notes qu'il
reprit symboliquement plus tard dans un Credo et dans sa dernière
symphonie emplie de lumière.
Pour se faire la main en composition, il prenait une sonate et la transformait en concerto en répartissant les différentes lignes entre un
clavier et un petit orchestre. Ainsi fut élaboré son Premier Concerto pour
piano de 1767 à partir de sonates de Raupach et Honauer. Dans le même
geste, il se constituait un répertoire qu'il joua longtemps en tournées.
Enfin, il partageait la musique de chambre avec son père et sa soeur dans
différentes combinaisons de clavier et violon. Il adorait y glisser des effets
pour s'amuser, tel ce rondeau dans lequel il faut être parfaitement exact
pour croiser les mains, sans quoi on se heurte au risque d'en mourir de rire.
À Salzbourg, il faisait la fierté de ses compatriotes qui le sollicitèrent
à leur tour. C'est ainsi qu'on lui commanda la cantate dramatique Apollo
et Hyacinthus. Quelle bonne manière d'expérimenter les voix, la scène
et ses conventions… de quoi s'aguerrir pour affronter la patrie de l'opéra !
Amadeo
14 ans et demi et on lui transmet le livret de Mitridate pour
les représentations milanaises de Noël 1770 ! Un succès extraordinaire
qui vaut au Maestrino la commande de Lucio Silla pour 1772.
Les découvertes et rencontres italiennes ont aiguisé son sens critique.
Il a entendu divas et castrats, compris ce qu'ils attendent, ce qui fera
mouche ou ce qui est passé de mode. Aussi travaille-t-il les récitatifs
« à s'en faire mal aux mains » en ajustant les airs aux qualités de chaque
chanteur « pour bien mesurer l'habit au corps ». Si le cahier des charges
de l'opera seria est parfaitement respecté, certains passages s'en
démarquent déjà : des cavatines pour changer des sempiternels arie
da capo, le duo d'amour du premier acte…
Amadeus
C'est au retour du deuxième séjour italien, le 16 décembre 1771, que
la vie bascule. Le bienveillant archevêque Schrattenbach meurt le jour
même et avec lui la liberté de courir le monde. La Salzbach devient
une frontière contrôlée par le nouvel élu et peu tolérant Colloredo.
Divertimenti et messes constituent la tâche essentielle tandis qu'Amadeus
renonce aux genres qui lui tiennent à coeur : symphonie, concerto
pour piano, opéra… Le bouquet des composé
dans la seule année 1775 est représentatif des goûts du prélat :
les mouvements rapides dans l'exubérance italienne, les lents de type aria di amore ou ariette française, les finale en rondeau à la française
aux refrains pastoraux. Mais l'adolescent tord plus d'une fois le cou
aux principes : une turquerie véhémente, des à-coups tragiques, l'infini
cantabile étouffé par les sourdines… Sous sa plume, le style galant
recrée une sensation qui prend source dans l'enfance : celle du jeu
ignorant des limites. L'espace circonscrit de la partition permet d'en
redécouvrir la saveur dans un temps dont le recul – ses 19 ans – lui
a déjà révélé la fugacité.
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Interview de David Grimal
Wolfgang
Mais l'expression tragique éclate. Début 1777, la pianiste française
Jeunehomme lui donne l'occasion d'exprimer la douleur profonde dans
le mouvement lent du Neuvième Concerto. La perspective d'un séjour
parisien alors avivée, il compose son Concerto pour hautbois, instrument
implicitement lié à la culture française. En outre, il choisit pour rondo
la mélodie de sa Sonate à quatre mains de Londres qui ne peut que lui
rappeler les souvenirs de l'enfance pérégrine et qu'il associe par la suite
à l'idée de liberté : air de Blonde prisonnière du sérail, finale de la Gran
Partita d'une incroyable liberté stylistique, Pamina et Papageno faussant
compagnie à Monostatos. Le message est donc clair. D'ailleurs, en
septembre, la coupe est pleine. L'archevêque ayant refusé les congés,
Leopold consent à laisser partir son fils avec sa mère. L'étape de Mannheim
est capitale : il tombe amoureux de la cantatrice Aloysia Weber, découvre
l'orchestre le plus avant-gardiste et fraternise avec les vents, dont
Wendling, flûte-solo, qui lui fait obtenir la commande d'un flûtiste amateur.
Un peu moins motivante que si elle avait été pour lui, elle comprend
le Premier Concerto en sol. Rien ne saurait alors altérer sa légèreté :
« M. Wendling sera fâché
Que je n'aie presque rien écrit
Mais en passant le Rhin
Je rentrerai c'est certain
Et j'écrirai quatre Quartetti
Pour ne pas être coquin
Le Concerto me le réserve pour Paris
Là le gribouille d'un coup »
Mais à Paris, le coup fatal est porté. La mort de sa mère, dont Leopold
lui attribue la responsabilité, le propulse dans la sphère adulte, un boulet
à tirer pour l'éternité.
Florence Badol-Bertrand