L'ambition de cette exposition est-elle de redonner toute sa place à l'impact visuel d'un mouvement surtout connu pour son influence musicale ?
Je fais de l'histoire de l'art en adoptant un point de vue qui est celui du présent. Je revendique aussi des choix esthétiques qui sont actuels. Il s'agit en même temps de montrer les sources d'images ou d'attitudes que l'on retrouve dans tous les domaines de la création, de l'architecture au graphisme en passant par la mode. Il s'agit également, c'est vrai, de lutter contre des préjugés. Un jour, un commissaire d'exposition m'a dit ne pas comprendre pourquoi je montrais des photocopies plutôt que des œuvres « originales ». Or, c'est justement là la spécificité de ce mouvement dans lequel la notion d'original n'existe pas, où tous les objets sont dès le départ pensés pour être diffusés. Le punk court-circuite la production et la diffusion. Un objet comme un fanzine réalisé par Paul Morley peut avoir été écrit à la main, en un seul exemplaire, il a tout de même été conçu pour être donné de la main à la main.
Il y a là un refus des usages traditionnels de l'art.
Par ailleurs, ne lier ces objets qu'à la musique, c'est une forme de fétichisme qui ne m'intéresse pas. Un collectionneur qui possédait une affiche pour le Never Mind The Bollocks des Sex Pistols, réalisée par Jamie Reid, tachée du sang de Sid Vicious, n'a pas compris pourquoi j'avais préféré lui emprunter une version « normale » de l'affiche, qui était en meilleur état. Ce n'est pas leur dimension anecdotique qui m'intéresse dans ces objets. Le principe premier de l'exposition est justement de ne pas considérer ces objets comme des documents, mais comme des œuvres, dont le statut peut d'ailleurs être très variable. Cela va des petits flyers aux tee-shirts, des disques aux affiches, d'objets extrêmement rares à d'autres ayant connu une diffusion massive. Ensuite, la discussion se situe davantage sur le terrain de la muséographie. Aux sections thématiques viendront s'ajouter quelques références chronologiques, disposées dans l'espace d'exposition sous la forme d'une fresque.
Propos recueillis par Laurent Catala.
Bazooka Production, Paris, n° 1 hiver-printemps 1975. / Peter Saville, affiche pour Joy Division, Unknown
Pleasures, 1979. Courtesy Peter Saville. / Raket, poster Red and Black Strike Back. 1980.
© Johannes van de Weert
Pogo à gogo
À l'occasion de l'exposition, les fondateurs du mouvement punk, comme PIL ou les Buzzcocks, croisent leurs héritiers.
Des pionniers et des héritiers. Les six groupes qui se produisent à l'occasion de l'exposition Europunk offrent six facettes bien distinctes de l'embardée punk, d'hier et d'aujourd'hui. Une embardée dont l'essence est aussi captée par les deux films proposés parallèlement. Avec ses archives captivantes, le documentaire Dégénération punk de Claude Santiago se concentre sur la période 1976-79, tandis que le très culte La Brune et Moi de Philippe Puicouyoul offre un coup de zoom sur certains groupes punk et new-wave français comme Edith Nylon, Marquis de Sade ou les Dogs…
Cette aventure punk fut donc entamée sur le Vieux Continent à la fin des années 70 par des précurseurs tels que les Buzzcocks, toujours en vie et toujours fidèles à leurs valeurs. Le gang de Manchester, inventeur d'un punk-rock d'essence pop, a assidûment opté pour la vitesse. Alors que les tempos de leurs confrères londoniens des Sex Pistols étaient finalement un brin lents, ceux des Buzzcocks avançaient pied au plancher. Choquantes et tendues par des guitares nerveuses, leurs chansons caricaturent l'adolescence comme la société avec un humour décapant…
Avec PiL (Public Image Limited), cet humour devient noir, pour ne pas dire glacial. Derrière ces trois lettres, John Lydon alias Johnny Rotten entamait en 1978 sa seconde vie musicale. L'ex-chanteur des Sex Pistols coupe ici le punk de ses racines rock'n'roll en se lançant dans de fascinantes expérimentations sonores infusées au dub et à la musique répétitive. Une aventure post-punk qu'il a récemment relancée sans l'édulcorer.
Cet ADN post-punk est au cœur de Frustration. Tendue comme un câble, la cold-wave de ces Parisiens s'adosse contre une rythmique anguleuse et une rage brute. Mais malgré ces références eighties, rarement musique n'aura aussi bien encagé le sentiment contemporain de l'oppression urbaine. Sur le label de Frustration, Born Bad Records, sévit aussi Cheveu, véritable ovni, punk dans l'esprit et incontrôlable côté influences. Une symphonie sculptée par des synthétiseurs cheap, des guitares sales et des voix d'aliens. Un rock'n'roll qui ose tout, improbable et ludique, et rend l'esprit punk des anciens plus contemporain que jamais.
Contemporain comme l'est aussi Kap Bambino qui concocte, depuis dix ans, un savant dosage entre rock et électro. Derrière sa violence rythmique et ses sonorités distordues, le duo bordelais est le grand ordonnateur d'une techno punk jamais déshumanisée. Un uppercut électronique qui empêche la planète rock de tourner en rond.
Les Suédois d'Holograms, groupe formé en 2011, apportent également leur pierre à cet édifice de contre-culture. Ces jeunes héritiers de The Fall ne caressent jamais leurs mélodies dans le sens du poil mais utilisent aussi leur quotidien passablement morose – isolement, solitude, ennui, frustration – pour alimenter un post-punk rageur et azimuté qui prouve la vigueur d'un courant musical loin d'avoir dit son dernier mot. No future, vraiment ?
Marc Zisman
Illustration © Bazooka